MEETING DE REACTION A L'ACTUALITE
La troisième intervention de sa campagne n'avait pas été anticipée, pas non plus éminemment préparée ; George Edouard avait pu prendre connaissance tôt dans la matinée des événements graves rapportés par l'Oeil concernant un homicide involontaire lié au tabagisme passif. À première vue, le sujet n'était qu'un fait divers, un drame "quotidien" malheureux mais qui n'a pas forcément plus de place à tenir de place dans l'agenda que ça. Mais c'est néanmoins après coup que le candidat de l'Union des Gauches comprit que finalement, l'intérêt était ailleurs : nous parlons d'une mère seule qui doit travailler jour et nuit l'obligeant à faire garder son enfant par une femme à qui elle ne fait pas confiance, d'un personnel de baby sitting mal formé, incompétent et qui n'a donc légitimement aucune raison de pouvoir en l'état de s'occuper d'un enfant.
L'ampleur des événements additionné à cette angle nouveau à prendre l'avait donc convaincu : sa troisième intervention sera donc consacré à cet éminent sujet, au travail des mères célibataires avec un enfant et à la formation réellement adéquate des personnels soignants - à la fois avec les enfants, mais également avec les personnes âgées -. George Edouard appela donc ses proches de la campagne en urgence, pour réserver un grand espace et préparer toute la communication nécessaire à ce rassemblement. L'appel sur son site lancé, les personnes avaient été réactives ; le meeting était plein sur un sujet qui les avait touché en profondeur et qui s'annonçait en conséquence chargé d'émotions.
Le Premier Ministre décida donc de se rendre dans la région de Cavour - et plus précisément dans la ville d'Illonlieu - pour s'exprimer et donner son avis sur un sujet qui, derrière l'aspect quotidien, n'a justement plus à se reproduire et à être ainsi banalisé. George Edouard après avoir mobilisé ses relais, prit son car de campagne et prépara son intervention tout du long du trajet. Tout en prenant compte au mieux des dossiers, le Premier Ministre avait néanmoins le temps de respecter son rôle en appelant discrètement la mère endeuillée ; sans lui demander de participer à ce meeting et à ce témoignage, il fallait néanmoins lui expliquer ce qu’il s’apprêtait à dire et à proposer. Après avoir eu l’aval de la principale concernée en vie de cette affaire, le candidat à la présidentielle se remit au travail, dans l’objectif de trouver les meilleures propositions à présenter pour répondre aux douloureuses questions de la gestion des enfants et d’un monde du travail poussant tout le monde à bout, et provoquant ce type de drame.
Une fois arrivé dans l’enceinte de la ville, le Premier Ministre ne fit pas son grand défilé habituel, sa messe personnelle en harmonie avec ses militants et militantes ; le temps n’est pas au discours grandiloquent mais à la dignité et à la sobriété. Avant de rejoindre la place de la centrale de la ville toutefois, le candidat de l’Union des Gauches alla dans l’hôpital du coin, salua les personnels soignants parfois à bout ; le domaine de la Santé est un secteur vital et clé pour une Union des Gauches à l’origine d’une Sécurité Sociale à la fois ambitieuse et viable. George Edouard prit le temps de passer à l’étage où se trouvaient les enfants malades, les zones réservées aux familles pour serrer des mains fragilisées par le malheur, pour trouver les mots justes devant ses concitoyens confrontées à la détresse, à la disparition d’une partie d’eux-mêmes. En observant de loin une jeune mère totalement bouleversée, le Premier Ministre demanda aux journalistes un peu de dignité et resta quelques instants à ses côtés.
Reparti cette fois-ci vers la place centrale, le candidat présidentiel souhaitait garder une posture d’humilité et cachait son plaisir d’admirer une telle foule à l’approche du lieu de la rencontre ; hormis les drapeaux qui restaient un indéboulonnable des interventions de l’Union des Gauches, la musique avait été supprimée et les éclairages lumineux teintés de noir et de deuil.
Le candidat de l’Union des Gauches arriva donc sur la scène sans plus d’effets ; les drapeaux se mirent toutefois à flotter au rythme des pas du candidat star et afin de préparer le rythme plus doux de ce meeting, George Edouard les appela au calme. Une fois devant la scène et la foule silencieuse, une minute de silence débuta, plongeant ainsi la place et la ville dans un vide assourdissant. La minute passée, le Premier Ministre remercia le public et démarra son intervention.
Mes amis, mes frères, mes camarades,
Merci d’être encore et toujours présents aujourd’hui pour me soutenir, pour m’encourager dans cette course vers le Palais d'Yguerne ! J’aurais en toute honnêteté préféré vous parler d’un autre sujet puisque cela aurait été la preuve que tout allait bien avec les services d’assistance maternelle, mais il n’en est rien. J’ai été attristé et touché comme je le crois chaque citoyen et citoyenne par l’article de l’Oeil paru ce matin, dans une nation qui ne devrait plus avoir à s’inquiéter de si ses enfants, son trésor est bien traité. Nos enfants sont le coeur et le poumon d’une République saine ; ne pas s’emparer de ce sujet revient certainement à nous trahir nous même et à abandonner notre patrie. Avant de vous expliquer ce que je veux - et qui doit - changer pour le volet sanitaire de notre Journal Officiel, je me dois de rappeler à tous et avec mon interprétation les événements récents. Ainsi ceux qui souhaitent s’en aller temporairement le peuvent, mon équipe de campagne se chargera de vous prévenir une fois le récit terminé.
Une fois cet avertissement passé, une partie du public s’éloigne de la scène, est escortée vers une salle bien isolée ou celle-ci ne pourra rien entendre. Une fois ce petit passage terminé, George Edouard peut enfin commencer sa narration.
Bien, démarrons. Je tiens à le dire : ce récit est décrit avec l’accord de Raphaelle* et j’appelle à un respect strict du vécu de chacun, à une humilité absolue devant l’horreur du drame vécu.
Ainsi, ce récit est un drame en plusieurs étapes, un drame aux multiples causes et aboutissant à la pire des conclusions. Raphaëlle est une femme comme beaucoup d’autres ; devant élever seule son enfant dans des conditions rudes et avec un salaire de misère, elle n’a d’autre choix que d’avoir recours au baby sitting et ne peux pas se permettre plus d’exigences que de faire confiance aux personnes censées s’occuper de l’être qui lui est le plus cher. Alors qu’elle devrait pouvoir être aidée, élever correctement et avoir du temps pour être avec son fils, la voilà obligée de ne pas compter ses heures, nuit et week end compris. Ensuite, vint le cas d’Alice. Bien que son cas reste soumis à la contestation et légitimement au débat, il faut préciser un point crucial : il est tout à fait évident que jamais elle n’aurait voulu être responsable de la mort d’un enfant, que jamais celle-ci n’aurait fumé si une sensibilisation claire et marquée des gestes à éviter lui avait été auparavant prodiguée. Aucune formation adéquate, là encore des conditions de travail bien difficiles conduisant à terme à des comportements destructeurs !
Ici, la destruction a atteint son apogée, le sort a frappé Raphaëlle et Tristan du pire des sceaux ; ce dernier s’est éteint d’une tumeur au cerveau à un stade avancé, sans doute causée par le tabagisme passif.
Prenant un temps marqué d’arrêt pour laisser le public respirer et se reformer, celles et ceux qui attendaient pouvaient désormais revenir à leur place.
A travers ce récit, nous voyons apparaître un premier déroulé clair, des manquements certes individuels, mais essentiellement sociétaux et institutionnels : une mère qui ne peut prendre le temps de s’informer sur ce qui nuit à son enfant et ensevelie sous le travail, une babysitter mal formée et mal informée ne provoquant ni surveillance de ses employeurs, ni alerte supplémentaire ! Une responsabilité individuelle d’Alice que je ne peux juger et que je ne saurais juger - c’est à la Justice de pouvoir correctement discerner les torts potentiels d’un acte illicite ou illégal -, une responsabilité de notre fonctionnement médical et du service proposant ce baby-sitting clairement établie et ravageuse. Je tiens tout de suite à écarter un thème qui sera sans nul doute le principal angle des interventions concernant cet événement : le sujet du tabac est un enjeu de politique publique majeur mais déjà pris en compte et combattu, cette substance est autorisée et taxée ce qui - tout en n’excusant pas son utilisation dans la même pièce qu’un enfant -, empêche de réellement rejeter la faute sur Alice et empêche de tirer une conclusion manifeste de cette situation. Bien encadré et puisqu’il serait complètement fou d’envisager de tout interdire, le tabac ne provoque pas une mort pouvant être considérée comme un meurtre ! Si cela était le cas, nous devrions également interdire l’alcool, la charcuterie consommée en trop grand nombre etc…
Non, la faute n’est pas une consommation de tabac de la jeune femme : la faute est une consommation de tabac dans un espace clos, avec un enfant d’un jeune âge et dans un moment où la mère n’était plus maitresse de la sécurité de ce dernier. Le nœud des “manquements” se résume dans cette phrase : une mère n’ayant d’autre choix que d’être absente, une baby sitter mal formée et en aucun cas encadrée. Dans cette situation, je pense avoir deux mesures, deux actions centrales de l’Union des Gauches que le ou la Première Ministre présentera en cas de réélection aux prochaines élections générales. Il est donc venu l’heure d’enfin vous les présenter.
A ces mots, la foule semble suspendue aux lèvres du Premier Ministre, attendant avec beaucoup d’attention la manière dont l’incarnation des pouvoirs publics envisageait une réponse. Serait-elle ferme et directe, plus long termiste et indirecte ? George Edouard fit durer quelque peu le suspens, puis reprit de plus belle.
La première mesure que je vous annonce concerne un cadre plus général que celui de l’article mais néanmoins tout aussi important : le sujet des femmes célibataires devant élever seules leur enfant, et plongeant bien souvent dans la précarité ou ne pouvant plus s’occuper correctement de jeunes enfants. Certains ou certaines pensent-ils véritablement qu’il s’agisse là d’un choix pour ces mères que de ne pas pouvoir pleinement élever leur enfant ? Face aux conditions de travail absolument inacceptables que ces dernières subissent, il faut remédier rapidement et vigoureusement à cette situation. Alors voilà tout de suite le contenu de ma première proposition - et de celle de l’Union des Gauches - : nous obligerons le paiement à la source des diverses allocations et pensions alimentaires du père ou de la mère en cas de divorce, nous déploierons une allocation au développement de l’enfant qui sera doublée pour les familles monoparentales et nous établirons une impossibilité - sans malus ou discrimination indirecte - pour les entreprises de faire travailler ces personnes le dimanche. Il faut sans nul doute que les parents puissent s’occuper et chérir leurs enfants, il faut sans tarder que les enfants puissent compter sur des parents présents pour s’épanouir et se développer. Je tiens à faire un aparté pour exprimer mon cas personnel, et qui vous prouvera ainsi l’importance capitale de pouvoir compter sur une famille présente dans les moments les plus difficiles.
J’ai eu la chance de vivre avec un père et une mère assez occupés mais aimants et attentionnés ; à l’entrée dans le milieu scolaire, j’ai subi comme beaucoup le lynchage, le harcèlement à la fois moral et finalement physique. Comme beaucoup, cette situation m’a touché jusqu’au plus profond de mon estime de moi ; ayant perdu confiance en les autres et en ma propre résilience, je n’osais pas parler de cette situation à mes parents de peur de leur faire honte. Le résultat ? Les sévices s'accentuent à l’école, ma vie ne ressemblait plus qu’à un sombre récit où la seule issue était le fossé. Et puis un jour, mon corps se jeta dans le fossé, je fis une tentative de suicide dans mon école, là où tout avait commencé.
Là où je pensais ce moment être la fin pour moi, cela n’était que le début d’un long chemin vers le retour en force, vers une combativité qui ne m’a plus jamais lâché et qui me porte aujourd’hui dans mes engagements, dans mes luttes et dans ma volonté. Mes parents furent forcément mis au courant de cette situation, et finirent par intervenir pour faire virer les enfants à l’origine du harcèlement. D’un soutien moral à toute épreuve et d’une force mentale inégalée pour ne pas me montrer leur immense peine, c’est leur présence qui m’a permis de m’en sortir et de me trouver devant vous aujourd’hui. Sans eux, je ne serais plus rien ; sans eux, je ne serais juste plus là, je n’aurais pas eu la force de me battre. Alors il est éminemment important que les parents puissent être là pour leurs enfants, que le travail ne soit pas un facteur les empêchant de les élever avec amour et investissement.
En entendant ce témoignage personnel d’un Premier Ministre brisant un court laps de temps son armure, la foule avait été émue et les regards étaient désormais remplis de tendresse. Sur le plan du récit, George Edouard savait où appuyer ; les gens aiment le story telling de moments graves et tristes, mais pas les histoires qui finissent mal et sans morale ! En se mettant à leur niveau et en leur prouvant que lui non plus n’a pas eu la vie si facile, c’est un formidable moyen de sortir de son rôle de favori et preneur de coups, de se prémunir du risque d’être considéré comme un grand manitou sur sa terre d’ivoire. Conscient que l’effet avait fonctionné et que le public était conquis, le Premier Ministre reprit alors son intervention.
Cet aparté fait, il faut maintenant revenir au thème central de ce meeting et à la raison de mon intervention aujourd’hui : le drame vécu par Raphaëlle et son regretté enfant, le drame vécu indirectement par de nombreuses familles et le drame d’un manquement systémique provoquant irrégularités et dommages collatéraux réguliers. Alors reprenons en passant à la deuxième mesure de ce discours !
Cette deuxième proposition s’inscrit dans une mesure permettant non seulement d’éviter que ce drame se reproduise, mais également de combattre un phénomène souvent noté par nos agences publiques sur la gestion des maternités et du traitement de nos enfants : le manque de supervision, le manque d’encadrement, le manque de coordination dans les équipes directement aux contacts de bébés ou de jeunes ! Voici donc la proposition de l’Union des Gauches et qui j’en suis sûr sera soutenu par de nombreux autres partis que le nôtre : nous devons rendre obligatoire une formation pluriannuelle sur les gestes à prodiguer et à prohiber en la présence d’enfants - tout particulièrement dans le cadre professionnel - visant à mieux former les personnels ; nous devons nous assurer de la qualité minimale des formations proposées par des contrôles renforcés et par un concours plus difficile à obtenir. Avoir des garanties impose de nouvelles contraintes, mais permet également une meilleure sécurité dans un domaine clé.
Certes, un contre-argument apparaît rapidement sur le sujet : augmenter les critères requis pour un secteur déjà sous tension d’effectifs revient à réduire le personnel, par conséquent à accentuer la pression et donc à terme à réaliser un travail contre productif. Un personnel surmené sera effectivement un personnel incapable de mener à bien sa mission. Cette situation potentielle étant tout bonnement inacceptable et évidente à interpréter, je peux maintenant vous parler du second volet de cette mesure : nous mettrons en place un important plan de revalorisation et de recrutements de personnels “encadrants” d’enfants, gériartiques et autres âges, le tout avec des augmentations de salaire, une meilleure prise en charge des arrêts maladie et un temps de travail aménagé.. Mais qui viendra fixer le taux de cette augmentation, les conditions exactes de ce plan de revalorisation ?
C'est là que la grande réforme sur la Sécurité Sociale intervient ! En effet, les dispositions exactes de ce plan seront fixées par une caisse dédiée de la sécurité sociale, qui est au contact direct du milieu de la santé pour savoir ce qu'il faut pour rendre véritablement attractif ce métier. Et puis à la suite de ces recommandations et de ce rapport rendu, le gouvernement choisira un chiffre qui devra essentiellement suivre le rapport tout ne modifiant pas drastiquement l'équilibre des salaires et des métiers dans ce monde vorace du travail. En effet, une perte d'attractivité peut parfois entraîner une hausse ailleurs, et inversement.
J'aimerais maintenant conclure ce meeting par une mise en garde : faites attention aux personnes qui souhaitent répondre à des enjeux complexes par des réponses simples, faites attention à celles et ceux qui souhaitent tout interdire et ce à tout bout de champ. Faites enfin attention à celles et ceux qui parleront sans cesse de sensationnalisme, en acceptant de laisser crever des parents, de ne jamais remettre en questions leurs habitudes et leurs croyances : le débat interne provoqué par la multiplicité de partis dans l'Union des Gauches nous permet sans cesse d'émuler nos esprits et de faire émerger des réponses largement admises et que nous n'aurions pas forcément imaginé à première vue. Alors pour ces présidentielles et ensuite pour ces générales, votez pour ma candidature puis pour celles de mon camp !
Vive la République d'Ostaria, et vive l'Union des Gauches !
Après son meeting, George Edouard accueille la foule présente pour discuter avec lui et pour l'encourager dans sa campagne. Son équipe récolte soigneusement les candidatures pour participer directement à la campagne ; le Premier Ministre profite toujours de ces instants pour détecter des profils, préparer ce qui s'annoncaient être de rudes élections générales. Après quelques heures de discussions productives et passionnantes, George Edouard reprit son bus de campagne vers la capitale pour préparer la 2e moitié de sa course vers la chefferie de l'Etat.