Discours de Joseph Taline sur l'avenir de la Nation
Joseph Taline, avait organisé un grand rassemblement à Lunont, sur la plus belle, grande, glorieuse et historiquement chargée de symboles, place de tout le pays : la Place des Étoiles. Le Parti Communiste avait fait beaucoup de publicités à ce meeting qui s'annonçait celui de la Reconquête, car on voyait depuis longtemps en Taline, l'homme du renouveau communiste ; celui qui saurait perpétuer l'héritage de Chastain qui avait su transformer le PCO en premier parti d'Ostaria. Chastain avait su conquérir, Taline saurait perpétuer, voilà toute la pensée du Parti. Initialement appelé "Rassemblement en hommage aux victimes du capitalisme", Joseph avait finalement choisi de ne pas faire cette allusion au rassemblement scélérat de l'actuelle Présidente. Il n'avait pas pour intention de faire pleurer dans les chaumières pour obtenir des voix. D'ailleurs, sa démarche ne s'inscrivait même pas dans une campagne électorale. Il voulait juste s'adresser à la Nation et elle était là, face à lui pour l'entendre ; il voulait s'adresser à elle et elle était au rendez-vous, par ses yeux numériques et ses oreilles microphoniques. Installé sur une grande scène devant laquelle s'étendait une banderole "L'Avenir de notre Nation sera socialiste ou ne sera pas", il salua la foule devant lui et commença.
Joseph Taline : Mes chers camarades,
Nous sommes à un moment charnière de notre histoire, de celle de notre Nation, nous sommes à l'instant où se déterminera la grandeur ou la bassesse d'Ostaria, cet instant qui dira au monde, ou bien notre arrivée dans le concert des nations, ou bien notre sortie par la plus petite porte qu'on puisse trouver ; un trou de souris si possible. Jamais dans l'Histoire de notre pays, n'avaient été aussi perceptibles ces instants pesants et jamais nous n'avions autant conscience du poids qui se posait sur nos épaules pour les générations futures. J'ai dit que c'était une époque charnière pour notre Nation, je rajoute que nous en avons déjà eu une : celle de l'effondrement du MUR que nous devons au Président Chastain et à lui seul, car lui seul compte. Ni celle qui pareille à la modèle professionnelle semble changer de veste à chaque élection, Marie Bonneau, ni les petits candidats de la gauche ne peuvent s'attribuer les mérites de notre camarade. Nous serons donc confrontés à une seconde année charnière en 180, de manière à ce que dès l'an prochain, nous puissions poser la porte d'Ostaria ; une majestueuse, grandiloquente mais grandiose, à l'image de ce que nous valons, par laquelle entreront des hommes et des femmes de tout horizon pour notre rayonnement par de-là les frontières nationales, ou une pittoresque, sympathique mais champêtre porte qu'on passera en rigolant, moqueur du menuisier de qui on doit l'ouvrage. C'est là que se divisent nos deux camps entre l'Union de la Gauche et les différents groupements de droite qui se forment, se déforment, se soudent et se dissolvent dans un ballet plutôt esthétique, plutôt agréable à regarder mais qui ne convient nullement à la conduite de la Nation si on veut la retrouver ailleurs que dans le fossé.
Je ne cache mon ambition de voir Ostaria au sommet de sa gloire à la fin de la mandature à venir. C'est une ambition que je dois avouer un peu trop grande, et un peu naïve mais c'est hélas aussi une ambition que nous sommes les seuls à avoir. Nos adversaires se font sans nul doute possible, une idée honorable d'Ostaria, mais êtes-vous bien certains qu'une fois parvenus au pouvoir, ils se donneront les moyens et ils nous donneront les moyens, nous, peuple d'Ostaria, d'accéder aux ambitions que nous affichons et à l'idée fort louable qu'ils se font certainement du pays ? Réduire l'imposition sur les profits inutilisés et servis en dividendes aux actionnaires ou utiliser ces impôts pour financer nos écoles, nos logements, nos hôpitaux ou nos casernes de pompiers ; c'est un choix qui vous concerne, qui vous regarde et sur lequel vous devez trancher. La grandeur d'Ostaria passera t-elle par une réduction de nos recettes en faveur des grands actionnaires ou plutôt par le partage de leurs immenses revenus pour augmenter les places dans les écoles, dans les hôpitaux, le nombre de secouristes et garantir à chacun un toit sous lequel dormir la nuit ? C'est une question à laquelle il vous faudra répondre lors des prochaines élections. Notre Nation sera t-elle juste en laissant celles et ceux qui construisent notre richesse et notre prospérité subir le diktat des patrons et des firmes étrangères ou en leur mettant entre les mains les outils de leur émancipation, du contrôle de leur propre destinée et du labeur qu'ils devront, en conscience, fournir à la sueur de leur front ? C'est une question à laquelle il vous faudra répondre lors des prochaines élections. Ce n'est pas trop vous en demander que de vous inviter à la table de la réflexion et je n'hésite pas à le faire car je n'ai pas peur du peuple. D'autres de nos adversaires, vous parlent toujours comme à des enfants, soit en s'adressant directement à vous en vous expliquant avec des mots enfantins ce qu'est le monde selon leur vision et en quoi ils sont les bons et nous les méchants, ou bien ils donnent leur avis sur tout, se glorifient dans leurs prêches comme si c'était eux ou le néant. Ce ne sont pas nos manières, nous avons toujours tenu à démocratiser le pays à toutes les instances de la vie quotidienne pour entendre nos concitoyens qui sont aussi éclairés et aussi intelligents que mon camarade, que moi ou que n'importe qui.
Je vais vous parler un peu de mon expérience pour expliquer notre programme. Vous le savez, je ne suis pas que candidat, je suis également avocat. J'ai donc eu et j'aurai un rôle important à jouer dans les divers procès qui se multiplient et signent, sans aucun doute, la fin de notre Troisième République. Je le dis sans outrage, sans désolation, sans remord et sans regret. Chaque régime politique doit pour vivre, un jour naître et un autre décliner et j'ai la conviction profonde que nous sommes au déclinement de notre régime républicain qui finit de la pire manière qui soit. Les communistes, prémonitoires sans doute, avaient su voir que ce régime politique était la propriété personnelle du Président Plassel et que naturellement, son départ puis sa mort n'allaient faire rien d'autre que signer la délitement progressif du régime jusqu'à l'anarchie. Nous avons connu la phase de rupture avec le présidence de Brétigny qui rompit avec l'activité parlementaire, la présidence Chastain commença sous les mêmes auspices avec Madame Bonneau, puis une tentative de réforme constitutionnelle fut proposée par le Président, elle reçu une désapprobation populaire. Ce devait être l'instant où notre République signait son arrêt de mort, et malgré ses mots, le Président Chastain n'a pas été celui qui l'a fait dérailler mais celui qui l'a maintenu en vie. Après cet épisode, des élections anticipées furent organisées et l'Union de la Gauche purgée de ses éléments réformistes et révisionnistes parvint au pouvoir et s'engagea dans la lutte pour la réforme institutionnelle et politique. Cela ne suffit pas puisque voilà que la Présidence fut remise par les mains du peuple à Madame Calenbek-Sothriopositi. Par ce retour, c'était l'accélération de la destruction qui était, sans le savoir, approuvée en grandes réjouissances par la Présidente. Elle croyait venir d'obtenir le pouvoir, elle ne venait que de le broyer. En s'attachant à vouloir un gouvernement d'union nationale et en rompant tant avec la tradition républicaine de la cohabitation, qu'avec la tradition de non-ingérence dans la vie parlementaire, initiées sur le tard par le Président Chastain dès son arrivée à Yguerne et qui furent les deux solutions pour maintenir dans le formol le régime plasselien ; en s'attachant à sa certaine vision d'Ostaria et de la politique, en rompant avec la ligne politique de son propre parti, elle finissait de rendre impossible le retour à la stabilité. Tout à coup, les forces antagonistes se sont emballées et voilà les dirigeants du parti présidentiel se trouvent accusés de divers torts, parfois les pires ! et ceux-là même accusent leurs opposants dans une cabale inimaginable, qui eux-mêmes ressentent le préjudice à leur encontre, de vices de procédure par les hautes figures de la Justice nationale, contre-attaquées elles-mêmes dans un torrent de plaintes entremêlées. Toutes les élites politiques, judiciaires et civiles se combattent et luttent entre délits et crimes, infractions et contraventions. Notre république s'enlise dans les affaires, une dizaine en quelques jours et peut-être bientôt plus ! Elle finit dans l'anarchie et demain personne ne la regrettera.
Mais nous autres, communistes, nous autres qui avons su voir par le passé, plus loin que l'avenir. Nous qui avions compris quel mal rongeait cette Constitution, appartenant à Jérôme Plassel et à lui seul, nous qui avions vu le modèle économique se détériorer et qui avons défendu le socialisme et pourfendu le capitalisme jusqu'à ce qu'il s'impose à notre pays comme une évidence, comme un salut nécessaire. Nous autres, nous préparons l'avenir et travaillons d'ores et déjà à construire les jours suivants. La palingénésie ostarienne ne passera pas en regardant la déliquescence de notre République mais en prenant le parti de commencer dès maintenant à planifier ce que sera le Quatrième république ostarienne, un modèle pérenne, stable, garant de notre grandeur et de la douceur des destinées que nous offrirons aux générations qui nous succéderont et aux suivantes. Chastain aura joué le mauvais rôle dans cette histoire en devant être l'élément qui cessa la casse du régime et en accéléra la chute, mais cette chute ne sera synonyme que d'un renouveau que nous espérons depuis longtemps, vous, vous tous, les pauvres, les travailleurs, les ménagères, les sans-abris, les paysans, moi également. Ce renouveau n'est pas encore déterminé, chacun ignore ce qu'il sera ; la seule chose qui est sûre et certaine, c'est qu'il ne sera le synonyme que de ce qu'on voudra qu'il soit le synonyme. Si vous voulez d'une république juste, stable, sociale, démocratique et libre, il ne tient qu'à vous de voter pour l'Union de la Gauche. Si vous voulez d'une république instable, personnalisée, qui s'épuisera de nouveau dès le départ de son architecte, il ne tient qu'à vous de voter de plus belle pour les adorateurs de la troisième république et qui sitôt qu'ils cesseront d'essayer de recoller les blocs de marbre blanc avec des sparadraps se donneront pour tâche de reconstruire un monument semblable avec du calcaire. Je regrette que leur visée n'est ni la grandeur, ni l'ambition, ni l'audace d'un Plassel au sortir de la guerre, à qui il n'aurait manqué que la réflexion pour construire un phare dans le monde libre dont nous jouirions encore de l'éclat qu'il nous prodiguerait.
C'est la raison pour laquelle, mes chers compatriotes, j'en reviens à vous ; maintenant que vous savez les raisons profondes et les aspirations humanistes et bienfaitrices qui m'obligent à vous demander de faire déferler sur le pays les bulletins de vote de l'Union de la Gauche pour construire une quatrième république qui saura nous sortir des crises profondes que nous connaissons actuellement. Crise économique, nous n'avons plus personne pour piloter le plan, crise juridique, les élus se poursuivent les uns et les autres, crise institutionnelle, nous voilà sans gouvernement, sans parlement et peut-être demain sans Présidente, crise démocratique et j'en passe. Plutôt que regarder les flots nous submerger et se battre pour le gouvernail, je vous demande avec Grégoire Constant, avec nous et avec moi de travailler à refaire la coque du navire pour éviter qu'il ne coule. Ostaria ne peut pas mourir, vous la sauverez avant. Et vous savez mes amis, que seuls seront les salvateurs qui vous préserveront d'un naufrage que vous ressentez toutes et tous, ceux qui voient plus loin que leurs intérêts personnels et immédiats, ceux qui ont conscience de la menace qui plane. La menace ce n'est pas un parti, ce n'est pas une personne, c'est une situation : l'anarchie et l'anomie dont les ombres terrifiantes inexplicablement s'allongent sur nos plaines, nos vallons, nos fleuves et nos villes. La menace d'une destitution présidentielle avant la fin des élections est réelle, la menace d'une destitution de la Cour Suprême suite aux erreurs que nous ressentons dans le comportement de Madame Wagner, est réelle. Dans ce cas, nous subirions le régime de la Haute Cour Constitutionnelle jusqu'à la prochaine élection législative, qui avec un scrutin purement proportionnel pourrait provoquer une nouvelle crise d'instabilité ; à moins bien sûr que vous n'accordiez comme aux dernières élections législatives, vos voix majoritairement, dans un mouvement plébiscitaire à la liste de l'Union de la Gauche. Je vous le dis comme je le pense : ce sera ça ou la continuité des troubles qui agitent notre pays jusque dans nos plus profonds fondements.
Vive Ostaria ! Vive la quatrième république !